11/07/2024
Tapez « vidéosurveillance » dans votre moteur de recherche.
Vous obtiendrez comme premiers résultats toute une panoplie d’offres de caméras en tous genres, puis de prestataires de services, avant de trouver des sites traitant de la problématique de filmer des individus dans l’espace public (gares, restaurants, magasins, les halls d’entrée d’immeuble). S’agissant des employés sur leurs places de travail, il faudra encore chercher plus loin.
Acheter une dashcam pour la poser même visiblement sur le lieu de travail n’est pas anodin.
Filmer des personnes, qui plus est ses employés, de manière à ce qu’ils soient identifiables est considéré au minimum comme un traitement de données personnelles devant respecter la loi sur la protection des données (LPD).
Mais ce n’est pas tout. L’espace mis sous surveillance doit être limité à la surface dont on est propriétaire. Pas question de filmer en même temps les locaux de l’entreprise et la piscine des voisins, ou le trottoir et ses passants.
Il est inévitablement en opposition du point de vue pratique de l’employeur.
Si le recours à une mesure de surveillance électronique peut apparaître comme LA solution à bon nombre de problèmes liés à la bonne marche de l’entreprise (sécurité, vol, harcèlement, etc.), cette « solution » ne va jamais de soi, puisqu’elle va inévitablement porter atteinte à la sphère privée des employés, qui ont droit à sa protection, aussi dans le cadre de leur travail.
C’est pourquoi, par principe la vidéosurveillance dans le but de contrôler leur comportement est prohibée par notre système légal. On fait référence ici tant aux normes qui régissent le contrat de travail de droit privé (art. 328 CO L’employeur doit protéger la personnalité de ses employés), que celles qui découlent de la loi sur le travail.
Le contrôle électronique du travailleur constitue donc l’exception. Pour qu’il soit tout de même admissible, un besoin concret (et non théorique ou abstrait) doit impérativement être démontré par l’employeur. Et ce n’est pas tout. Même si ce besoin existe, cela ne signifie en effet pas encore que le système de surveillance puisse être installé n’importe où (les vestiaires par exemple). Il faut donc s’assurer que les inévitables atteintes à la sphère privée dont on a parlé plus haut soient limitées au maximum.
En outre, le système ne peut être mis en place dans l’entreprise à l’insu des employés. Il y a donc en sus un dommage collatéral potentiel : l’installation déclarée d’un “œil de Moscou” à tel ou tel endroit risque inconsciemment de gêner leur productivité. L’employeur doit être conscient de cela. C’est au cas par cas qu’il lui faudra évaluer la situation.
En pratique, une frontière claire entre la surveillance électronique autorisée en raison d’un besoin effectivement prouvé de l’employeur et le contrôle interdit du comportement des employés est difficile à tracer.
Le problème va au-delà de la pose d’une caméra ou d’un autre appareil électronique.
La surveillance électronique peut en effet s’exprimer de multiple façon. Le badge de l’employé qui lui permet d’accéder à certaines zones de l’entreprise, la timbreuse, le contrôle des kilomètres du fourgon, etc., tous ces gadgets déjà installés par bon nombre d’entreprises peuvent déjà être considérés sur le plan légal comme une mesure de surveillance électronique, même s’ils répondent à un besoin légitime (espionnage industriel, vol de matériaux précieux ou de matériel, protection de certaines zones dangereuses de production, optimisation de la production, sans compter la protection du personnel).
Plus les moyens électroniques et autres mesures de surveillance installés dans l’entreprise sont susceptibles de porter atteinte aux droits de la personnalité du travailleur, plus les motifs qui ont suscité leur installation doivent être importants. Dans le cadre d’un tel examen, on se demandera toujours si l’employeur n’aurait pas eu d’autres options, plus “light”. Les caméras n’auraient-elles pas pu être placées à d’autres endroits ? Les visages floutés ? Leur durée d’enregistrement ne devraient-elles pas être limitées à certaines tranches horaires ? Les informations recueillies sont-elles en outre traitées conformément à la loi sur la protection des données ? Etc.
Dès que des données personnelles sont traitées par une mesure de surveillance, l’employeur est toujours tenu de respecter les dispositions de la loi sur la protection des données (LPD) et son ordonnance. Leurs dispositions rejoignent celles du droit du travail au sens large. Si les droits de la personnalité d’un employé sont violés en raison de la mesure de surveillance (le simple fait de savoir qui fait quoi à quel moment du temps de travail est déjà considéré comme un traitement de données personnelles), un motif justificatif est nécessaire conformément à l’article 31, alinéa 1 LPD. Il faut un intérêt privé ou public prépondérant. De plus, dans cet examen, un éventuel consentement de l’employé sera considéré avec réserve comme un motif justificatif. Forcément, en raison du rapport de subordination, on ne peut évidemment pas partir du principe qu’il s’agit d’une décision tout à fait libre.
En outre, le traitement des données doit respecter les principes de bonne foi, de transparence et de proportionnalité (art. 6, al. 2 et 3, LPD). Ces mots parlent d’eux-mêmes. L’information préalable des travailleurs sera donc essentielle.
Pour anticiper d’éventuels reproches, il serait avisé de décrire la mise en œuvre de la surveillance électronique et ses motifs dans un règlement spécialement établi à cet effet. L’employeur devra également être en mesure de démontrer concrètement que la surveillance technique est proportionnée, c’est-à-dire que l’objectif visé (protection de l’entreprise) n’aurait pas pu être atteint par des moyens moins contraignants.
Consultation des sites internet avec contenu pornographique – ATF 143 II 443
Un employé des CFF a été licencié avec effet immédiat pour avoir consulté à plusieurs reprises des sites avec du contenu pornographique. Pour constater cela, les CFF ont utilisé un logiciel informatique qui reconnait des sites web interdits, lorsqu’ils sont visités par les employés. Le logiciel a effectué une analyse périodique qui avait pour but de vérifier le respect des règles de l’entreprise. Elle n’était ni nominal ni se rapportait à des personnes déterminées. Un de ses rapports a permis de constater qu’il y avait de nombreux accès à des sites pornographiques.
C’est pourquoi les CFF ont procédé à une analyse plus approfondie des données informatiques qui étaient enregistrées sans les mettre en relation avec une personne déterminée. Finalement, ils ont procédé à une analyse nominative, afin d’élucider un soupçon concret de l’utilisation abusive. Cependant, ils ont omis d’informer par écrit la personne concernée. Pour déterminer si la surveillance pouvait donc être considérée illicite et le moyen de preuve obtenu illégalement, donc irrecevable, Le TF a tout de même procédé à une pesée des intérêts entre l’intérêt des CFF et le comportement de l’employé fautif. Le TF a finalement dit que l’intérêt des CFF en tant qu’entreprise accomplissant une tâche publique importante était d’éviter des abus de son infrastructure et que cela primait l’intérêt privé de la protection de la personnalité. L’employé a été débouté.
Utilisation clandestine d’un logiciel espion – ATF 139 II 7
Un logiciel espion avait été placé sur un ordinateur qui transmettait pendant trois mois des copies d’écran et des informations privées (opérations bancaires, messages privés etc.) à l’insu de l’employé. L’employeur a constaté que l’employé consacrait la majorité du temps de travail avec des activités étranges. L’employeur conduit ensuite une enquête administrative et licencie l’employé avec effet immédiat.
Le TF retient que l’utilisation clandestine d’un logiciel espion est illicite et constitue une mesure prohibée par la loi (assimilable à un système de contrôle destiné essentiellement à surveiller le comportement du travailleur). Cette mesure était en plus clairement disproportionnée. Les informations obtenues ont donc été considérées comme illicites et ne pouvaient pas être utilisées comme preuves du licenciement. En l’absence d’autres fondements, le licenciement qui se fondait sur un rapport de droit public a été annulé.
GPS dans le véhicule de fonction
Dans un arrêt « ancien » (2004 ; ATF 130 II 425), mais toujours d’actualité, le TF a retenu qu’un système de navigation GPS installé dans une voiture d’entreprise devait être qualifié de système de surveillance illicite s’il avait pour seul objectif de surveiller le comportement des employés. En revanche, un tel système de surveillance n’est pas interdit si des motifs justificatifs, tels que la planification et l’organisation ou l’optimisation économique du guidage routier, peuvent être avancés.