18/06/2023

Responsabilité pénale d’une entreprise

Question récurrente des chefs d’entreprise ou membres d’une direction : quelle responsabilité devrions-nous assumer sur le plan pénal, s’agissant d’actes commis par notre société, respectivement par l’un de ses membres ?

La réponse peut se décomposer en deux axes principaux.

Le premier consiste en une responsabilité principale pour les infractions commises dans le cadre de l’entreprise (p. ex. : mise en danger de la vie ou de l’intégrité des employés, harcèlement sexuel, violation de droits humains), ou dans lesquelles elle serait impliquée ou dont elle se serait rendue complice (par exemple dans le cadre d’un consortium d’entreprises créé pour réaliser un ouvrage).

Dans ce cas, quelles seraient les personnes amenées à répondre devant un juge et sur quelles bases ?

Le code pénal suisse (CP) ne vise pas les entreprises et ne contient pas de dispositions spécifiques s’appliquant aux infractions commises par elles. En principe, seules les personnes physiques (vous et moi) sont visées par cette loi et répondent chacune individuellement pour leurs actes. Il existe cependant une norme générique sur la responsabilité pénale des entreprises qui se trouve à l’art. 102 CP. Elle prévoit une responsabilité pour les délits et les crimes commis au sein de l’entreprise et dans le cadre d’activités commerciales en rapport avec l’objet de l’entreprise (conforme à ses buts). La responsabilité au sens large concerne les situations où un défaut dans l’organisation de l’entreprise a causé ou n’a pas empêché la commission d’une infraction grave, comme le blanchiment d’argent (alinéa 2). Subsidiairement, si une déficience organisationnelle empêche l’identification d’un auteur individuel d’une infraction commise au sein de l’entreprise, celle-ci se verra imputer l’acte et pourra être astreinte à une amende pouvant aller jusqu’à 5 millions, en fonction de la gravité de l’acte commis (alinéa premier).

Qui est concrètement visé ?

Les entreprises définies à l’alinéa 4 de l’art. 102, soit à peu près toutes les formes de sociétés commerciales selon le droit suisse. Ensuite, il faut qu’une infraction pénale définie dans la loi (CP ou autres) ait été commise par un employé ou un membre de la direction, dans l’exercice de ses fonctions (telles qu’elles ressortent du but de l’entreprise). Enfin, et c’est là un élément fondamental, l’auteur ne peut être identifié en raison d’un déficit organisationnel affectant (volontairement ou non) la société.

Et quels sont les moyens de défense ?

En premier lieu, la société peut avancer qu’il n’y a pas eu de défaut d’organisation. Sa ? tâche (et/ou celle de son ? défenseur) consistera alors à démontrer qu’elle a pris toutes les mesures organisationnelles possibles pour empêcher la commission de l’infraction, subsidiairement pour permettre l’identification de son auteur parmi son personnel ou sa direction. Il n’y a pas de critères précis sur lesquels pointe la loi. Cela dépendra du secteur d’activité, de la taille de l’entreprise, du niveau de formation de son personnel, etc. Le pouvoir d’appréciation du Juge étant large, les éléments dont il peut tenir compte le sont aussi.

Mais, s’agissant spécifiquement des administrateurs et des dirigeants (au sens large, puisque différents types d’entreprises commerciales peuvent être concernées), dans quelles situations peuvent-ils être finalement tenus pénalement responsables ?

Selon une pratique bien établie par notre Haute Cour (Tribunal fédéral), d’abord, les personnes qui ont une position de contrôle dans l’entreprise peuvent être tenues pénalement responsables s’ils avaient connaissance de la commission d’infractions par d’autres personnes dans l’entreprise, mais n’ont rien fait pour empêcher ou faire cesser ce comportement (on parle alors de responsabilité par omission).

En ce qui concerne, le second axe, soit la responsabilité subsidiaire de l’entreprise au sens de l’alinéa premier de l’art. 102 CP, la situation visée est celle où, en raison d’une organisation inadéquate, l’infraction ne peut être imputée à une personne physique au sein de l’entreprise, car elle n’a pas été identifiée. Là, on parle des infractions commises par des employés, comme par exemple l’excès de vitesse du conducteur d’un véhicule d’entreprise, mais qu’on ne parvient pas à identifier. Dans ce cas de figure également, la société pourra se défendre en invoquant le fait qu’elle a pourtant pris toutes les mesures organisationnelles nécessaires et possibles pour identifier l’auteur, sans succès dans le cas précis.

Et que se passe-t-il s’il s’agit d’un acte répréhensible commis par un sous-traitant (par exemple dans le domaine de la construction) ?

L’entrepreneur général ne peut être tenu pénalement responsable des infractions d’un de ses sous-traitants, à condition que ceux-ci soient indépendants sur le plan organisationnel et ne soient pas subordonnés à l’entreprise. Par contre, si la relation entre le contractant et l’entreprise s’apparente à celle d’employé/employeur, comme par exemple en matière de location de personnel, la responsabilité subsidiaire de l’entreprise principale pourrait être donnée.

Le CP (art. 102 al. 1) prévoit que l’amende peut aller jusqu’à 5 millions. Comment le juge détermine-t-il le montant de l’amende ?

Il se fondera d’abord sur la gravité de l’infraction (homicide par négligence, blanchiment, corruption, excès de vitesse, etc.). Ensuite, puisqu’il s’agit d’une spécificité de la loi où l’on ne peut appliquer une sanction directe contre l’auteur, il s’attachera à qualifier le degré de la défaillance organisationnelle au sein de l’entreprise, le dommage causé à la/aux victime(s) et, en dernier lieu, sa capacité économique.

Quelques considérations procédurales pour terminer.

Qui peut engager une action pénale contre une entreprise ?

C’est le procureur cantonal (MP), éventuellement fédéral, en fonction de l’infraction pénale dénoncée. En cas de soupçon de blanchiment au sein de l’entreprise, en lien avec une infraction commise à l’étranger, c’est le Ministère public de la Confédération, le MPC, qui pourrait être compétent. Mais, si c’est la police cantonale qui a constaté un excès de vitesse d’un véhicule d’entreprise au moyen d’un radar, donc sans identification du conducteur, l’enquête et la condamnation seront du ressort du Parquet cantonal.

Les particuliers (victimes) peuvent aussi signaler une infraction au MP ou à la police. Le procureur doit alors diligenter une enquête, destinée à établir s’il existe – ou non – des soupçons raisonnables de commission d’une infraction relevant de sa compétence. En fonction du résultat de son instruction, il classera l’affaire (pas de concrétisation du soupçon), rendra une ordonnance pénale pour les cas bénins ou renverra le dossier devant le Tribunal pour les infractions plus graves.

Les victimes peuvent participer pleinement à la procédure et se constituer partie civile. En outre, elles peuvent contester la décision de classement d’un procureur. Les particuliers ou tout tiers qui auraient simplement signalé une infraction, sans en être eux-mêmes victimes, ne bénéficient en revanche pas de ces droits.

 

08/05/2023

Un grand merci à toute notre équipe, en particulier Aline Fragnoli, pour leurs recherches et leur travail, dans la cause de ce réfugié syrien que nous avons plaidé à nouveau devant la Cour d’appel pénal du Tribunal cantonal et nous a permis – pour notre seconde tentative – d’obtenir l’annulation de son expulsion.

L’expulsion vers le pays d’origine est en principe obligatoire pour tout ressortissant étranger condamné pour une infraction grave. Le Tribunal fédéral avait cependant admis notre recours, acceptant notre argument que la faisabilité d’un renvoi dans un pays comme la Syrie était, à l’heure actuelle, problématique et devait faire l’objet d’une meilleure instruction de la part des autorités judiciaires cantonales.

Nous avons donc réuni un maximum d’informations provenant des sources disponibles. Elles ont démontré que toute personne ayant obtenu le statut de réfugié en Suisse (ou ailleurs) était inévitablement considérée comme un traître par les forces syriennes et, donc, un retour forcé ou non dans ce pays l’emmenait ni plus ni moins au-devant de la mort.

La Cour d’appel a entendu notre plaidoyer et annulé le renvoi. C’est un immense soulagement pour notre client, mais aussi pour sa famille et ses enfants.

C’est aussi une satisfaction d’avoir pu mener ce dossier vers un succès, résultat qui n’est jamais garanti dans notre profession. C’est, d’une part, le juste retour du travail accompli par toute notre équipe. Et, aussi, un certain soulagement de voir que nos autorités judiciaires se sensibilisent désormais aux situations politiques et juridiques problématiques qui interviennent loin de nos frontières.

Pour avoir défendu des clients étrangers, sous le coup de mesures de confiscation de la part du Parquet fédéral, au motif que ces personnes étaient ciblées dans des pays comme la Russie ou le Kazakhstan et que, au-delà de tout bon sens, on nous répondait qu’il fallait donner suite aux mesures d’entraide que ces pays demandaient, car, puisque nous avions des accords internationaux avec eux, la Suisse devait les exécuter sans se poser trop de questions. Il aura fallu une guerre à nos portes pour que, depuis février 2022, on admette enfin que, dans certaines contrées, les droits humains sont systématiquement bafoués. Si la « neutralité » de la Suisse peut être un sujet de débat controversé, sa vocation à de défendre les Droits de l’Homme ne devrait jamais être remise en question par ses autorités politiques et judiciaires. Au travers de la Défense, les avocats défendent cet idéal avec, heureusement, parfois du succès, comme ici. Mais il y a encore beaucoup de travail à accomplir…